Bénédicte, ambassadrice du chocolat
En 2018, j’avais commencé une série de portraits de femmes qui investissent et bousculent le monde du chocolat, un monde encore trop souvent conjugué au masculin. Nous avions ainsi rencontré Alixe Bornon, Adelia di Fant et Victoire Finaz.
Emballée par ces belles rencontres et par toutes ces femmes présentes au salon du chocolat en novembre dernier, je travaille depuis à cette belle promesse : mettre en avant ces femmes libérées, audacieuses, téméraires et engagées !
Et, pour ouvrir le bal de 2019, je vous propose de rencontrer Bénédicte de Chambure, ostéopathe de son métier, membre du renommé Club des Croqueurs de Chocolat et présidente du Club Criollo. Ostéopathe et ambassadrice du chocolat, ne trouvez-vous pas cela atypique ?! C’était suffisant pour éveiller ma curiosité et me donner l’audace de l’aborder. Le rendez-vous fut donc pris, direction le salon de thé de l’hôtel Raphaël, un après-midi d’hiver.
“Je ne me qualifierais pas de chocolatologue ce qui ne me correspond pas tout-à-fait. Je ne suis pas une experte […]. Je suis là pour parler du chocolat. […] Je me définirais plutôt comme une ambassadrice du chocolat. ”
Bénédicte de Chambure, Novembre 2018
Toutes les histoires commencent par des rencontres chocs!
Une première dégustation « choc »
Lorsque le mot « chocolat » teinte à nos oreilles, on se laisse souvent emporter par de délicieux souvenirs d’enfance. En ce qui concerne Bénédicte, la première rencontre avec le chocolat n’a pas été des plus heureuses : « Le premier souvenir… Il n’est pas bon ! C’est un urticaire géant où, à l’âge de 4 ans, je suis déformée par le chocolat » dit-elle en riant. 😅
Une telle expérience « choc » en aurait découragé plus d’un, mais, la petite Bénédicte était bien trop gourmande pour s’avouer vaincue. Et, en dépit de son allergie, elle persista ! 💪
La suite de son enfance sera bien vite emplie de souvenirs meilleurs, souvent associés aux jours de fêtes, avec : les dominos de chocolat noir Weiss qu’elle dévore chez ses veilles tantes lors des fêtes familiales, les dragées en chocolat distribuées lors des mariages, les papillotes Weiss à l’emballage « absolument sublime et élégant » et le chocolat chaud accompagné de brioche que l’école primaire offrait la veille de Noël.
Je ne pense pas prendre trop de risque en disant que, du haut de ses sept ans, en digne héritière de famille de gastronomes, la petite Bénédicte avait probablement un goût très « assuré » en matière de chocolat : « Petite, j’avais l’audace de croquer dans une papillote, de la refermer très poliment et de la reposer si je n’aimais pas. Et, là mes frères ou les parents découvraient la supercherie et ils savaient que j’étais passée par là. »… La petite coquine 😏
A la conquête du berceau rhodanien
Née au cœur d’un des berceaux du chocolat français, entre Roanne et Saint Etienne, Bénédicte grandit et pousse la porte de plusieurs chocolateries de la région rhodanienne. Elle m’explique qu’à l’époque, rencontrer des artisans chocolatiers étaient chose facile, ce qui l’est moins aujourd’hui. Parmi les artisans qui auront contribué à développer son goût pour le chocolat, il y aura Pralus, la maison Troisgros et, surtout, Monsieur Dufoux.
Elle connaîtra alors de véritables révélations gustatives, commencera à s’intéresser aux grands crus et découvrira la fabrication de la pâte de cacao à partir de fèves chez M. Dufoux. Elle m’évoque volontiers cette quête du meilleur chocolat et, notamment, ce que j’appelle le « premier wow » : « C’était la barre infernale de Pralus, faite avec des fèves de Sao Tomé, donc un chocolat très sauvage, très épicé. Là, j’ai adoré car c’est gourmand et très épais. Ensuite, il y a eu la découverte des tablettes de Madagascar […] j’aime beaucoup… c’est fruité, c’est acide, cela me correspond bien. »
Sa « double » vie parisienne
Se lancer dans la vie
En 1987, Bénédicte se voit imposer un choix de carrière dans la kinésithérapie : « Mon père souhaitait absolument que je devienne kinésithérapeute. Je n’avais pas beaucoup de liberté sur ce que je voulais. J’avais le droit de monter à Paris si je poursuivais dans ce cursus que je ne connaissais pas ». Bénédicte accepte cette voie qui correspond à une partie de ses aspirations : « j’étais curieuse des sciences naturelles. Le corps m’a toujours intéressé… c’étaient des choses concrètes. C’était donc pas loin de ce que j’aimais » m’explique-t-elle.
Avant son départ pour Paris, elle demande au Maître chocolatier Dufoux de l’introduire dans le Club des Croqueurs de Chocolat dont il faisait parti. Elle était alors attirée par « le côté secret [du club et souhaitait] partager une passion commune, rencontrer tous ces professionnels qui faisaient un beau travail sur le chocolat». C’est donc, avec une sympathique lettre de candidature et une bonne dose de culot, qu’elle intègre ce club très prisé : « comme je venais à Paris, je me suis dit pourquoi ne pas faire partie du club. J’ai posé ma candidature. C’était assez difficile d’y entrer. Alors, j’ai dit que j’avais M. Dufoux comme parrain et Sonia Ryckiel comme marraine, ce qui était totalement faux ! […] J’y suis allée au culot !» Comme quoi… un petit mensonge sans conséquence… ne nuit pas 😋
Du haut de ces 20 ans, Bénédicte s’engage donc dans une double vie alternant carrière dans les soins et passion pour le chocolat. A ce moment là, elle n’imaginait pas à quel point ce choix lui permettrait de s’épanouir et de se trouver.
Se construire avec patience
Bénédicte découvre la dure réalité du métier de kinésithérapeute au sein des hôpitaux de Paris. Sa petite bulle de chocolat, qu’elle a su conserver, lui servira d’échappatoire : « cela me permettait d’avoir un réseau plus léger, d’échapper au monde de la douleur et aux patients. J’ai eu des cas difficiles et lourds à supporter pour une jeune fille de 20 ans. A côté, j’avais besoin de quelque chose qui m’enchantait. Le côté chocolat était là pour compenser un quotidien professionnel difficile. Ça a été un échappatoire et un certain équilibre entre ces deux mondes »
Tout me laisse à penser que son monde chocolaté lui a apporté l’équilibre, la légèreté et l’énergie nécessaires à se construire un métier qui lui ressemble. J’ai personnellement remarqué que la dégustation du chocolat nous oblige à être plus à l’écoute de nos sens et à abandonner nos aprioris pour être capable d’évaluer un profil aromatique atypique. On retrouve cette forme d’ouverture dans l’incroyable parcours professionnel de Bénédicte, parcours rythmé de trois temps forts :
- En 1994, elle entame une formation de 6 ans en ostéopathie qui sera une révélation : « cela a été une ouverture vers un monde médical plus doux, avec une palpation plus fine et une ouverture des champs de perception. […] Je retrouvais un vent de liberté à travers ces différentes représentations des soins. C’était très libérateur pour moi »
- Au cours de cette formation menée en parallèle de son travail, elle choisi de se spécialiser dans une technique ancestrale développée par un rebouteux renommé qui avait soigné des célébrités ainsi que des personnes de sa famille. C’est auprès de sa fille qu’elle se formera.
- En 2009, elle donne un élan international à sa carrière et se partage désormais entre Paris et Rome où elle travaille régulièrement dans une école et dans le cabinet de son ancien professeur d’ostéopathie.
En 30 ans, Bénédicte se sera construite une vie professionnelle riche, plus proche d’elle même et en équilibre avec ses passions : l’Italie et le chocolat. Et, le chocolat, justement…qu’en est-il ?
Vivre le chocolat comme matière à soi
De jour, Bénédicte donne aux corps les soins nécessaires à leur guérison. Le reste du temps, elle accueille la matière noble du chocolat travaillée par d’autres. Il s’agit toujours d’une approche sensorielle de la matière vivante ! Curieuse coïncidence 🧐
On l’aura compris, qu’il s’agisse de son travail ou de ses passions, Bénédicte se laisse guider par sa soif d’apprendre. Affûter son palet lors des sessions de dégustation du Club des Croqueurs de Chocolat ne lui suffit guère. Elle rencontrera Valentine Tibère auprès de qui elle se formera à la dégustation de tablettes de chocolat. Elle complétera ensuite ses connaissances en suivant une formation au CIRAD de Montpellier. Et, vous pensez bien qu’elle ne s’est pas arrêtée là !
Grâce au réseau qu’elle a développé auprès d’artisans chocolatiers, en France comme en Italie, elle peut assouvir son envie « d’aller de plus en plus vers la matière première ». Dès que cela est possible, elle visite des ateliers : « j’essaye de me former au contact des chocolatiers, […] en allant dans leurs laboratoires.». L’an passé, elle franchit une nouvelle étape en se rendant dans la plantation d’Aristide, localisée au Cameroun. Les fèves sont principalement achetées par la chocolaterie “A la Reine Astrid”. Si vous voulez découvrir cette fabuleuse histoire, je vous invite à visionner cette vidéo.
Parmi les personnes passionnées de chocolat qu’elle croise, il en est une qui fut déterminante : celle de Domenico Biscardi, un journaliste et historien italien. C’est en quelque sorte la rencontre du chocolat à la française et de celui à l’italienne. Et, fort heureusement, cela ne s’est pas résolu par « la solita partita di calcio » !😋😂 Nos deux passionnés eurent l’audace de créer le Club Criollo en 2013.
Go Girls : le conseil de Bénédicte
Bénédicte n’a pas échappé à la question dédiée aux « Go Girls ». Sa réponse est tout-à-fait en harmonie avec son parcours. Je vous laisse découvrir cela : « j’aurais eu quelques années de moins, j’aurais fait un CAP chocolat pour mettre mes mains dans la matière. Je pense qu’il n’y a rien de tel que de vivre le chocolat. Je pense que le voyage est très formateur : aller sur des plantations, la rencontre de l’arbre… tant qu’on n’a pas vu de cacaoyer, je pense qu’on n’est pas dans la matière. Je conseillerais, par exemple, de faire un stage en agronomie, dans une plantation , pour participer à la récolte, apprendre à connaître les gestes, vivre avec le cacaoculteur, identifier ses problèmes. Ces deux choses – CAP et voyage – donnent de l’assise à une jeune personne. Le reste, le réseau, ça se construit. Rien ne vaut l’expérience. »
La rencontre avec Bénédicte a été l’occasion de prendre du recul sur cette quête à laquelle nous sommes toutes plus ou moins confrontées en tant que femme. Nous avons toutes en tête l’image d’une femme révolutionnaire, rebelle, qui s’impose en jouant des coudes. Bien sûr, cela est parfois nécessaire mais, il y a quelque chose de gênant dans cette image : d’une part, c’est un stéréotype réducteur et, d’autre part, une telle image pourrait décourager certaines d’entres-nous. Or, le but des « Go Girls » est de vous encourager toutes, quel que soit votre style.
Avec le parcours de Bénédicte, on découvre qu’il est possible de s’épanouir et de mener sa petite révolution tout en douceur : « Je me suis émancipée en douceur. Je ne suis pas une rebelle, je suis une douce. » m’a t-elle confié.
Le coup de cœur chocolaté de Bénédicte
On reconnaît les passionnés à leur générosité contagieuse. Lors de l’interview, elle a tenue à ma faire découvrir un de ses coups de cœur italiens : une tablette de Cacao Crudo de Daniele Dell’Orco. « C’est un chocolat très light, peu sucré et peu chargé en beurre de cacao », m’explique-t-elle en me tendant la tablette.
La tablette se présente dans un petit sachet qui permet d’en conserver les arômes. A peine, l’ouvre-t-on que nous sommes envahies par ce fabuleux parfum d’orange. Ce chocolat tient ses promesses et il est effectivement très léger : le sucre est discret, de même que le beurre de cacao. En bouche, il y a un côté « brut » qui n’a rien de désagréable.
J’apprends alors que Daniele Dell’Orco est un ancien anthropologue, tombé amoureux du chocolat lors d’un voyage au Pérou. C’est là que l’idée de faire lui même son chocolat émergea. De retour en Italie, il entamera une reconversion à l’évidence pleinement réussie. Je crois bien qu’il me faudra programmer une petite visite à Rome pour en savoir plus !
En résumé
Bénédicte est une femme inspirante de part son parcours atypique et sa révolution tout en douceur. Jusqu’à présent, je vous avais surtout présenté des femmes à la tête de chocolaterie. J’ai voulu démarrer l’année avec un tout autre portrait. Celui d’une de ces femmes qui parlent du chocolat, de ces diverses ambassadrices qui ont contribué à la renommée de ce délice !
Si vous souhaitez en savoir plus sur le Club Criollo ou y adhérer sous conditions, vous pouvez vous renseigner ici.
Remerciements
Un « grazie mille » à Bénédicte pour sa disponibilité et sa douceur.
Une spéciale dédicace à mon photographe personnel qui embéllit mon blog !
N’hésitez pas à me poser vos questions, laisser vos remarques ou commentaires ci-dessous, sur mon instagram ou sur ma page facebook.