A la recherche du cacaoyer perdu !

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Novembre, 2018

Les termes de Criollo, Forastero ou Trinitario sont désormais répandus auprès des amateurs de chocolat. Lorsqu’ au détour d’une conversation avec un artisan chocolatier, on parle de Criollo, on n’a tout de suite l’impression de maîtriser le sujet et de faire un peu parti de la famille…toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure et fortuite coïncidence😜… Désolée de briser le mythe !… Mais, ce n’est pas aussi simple. Cette classification en 3 variétés commence à être largement dépassée. De même qu’il faudrait revoir le postulat suivant lequel les Criollo seraient les plus prestigieux et aromatiques des cacaos.

Diversité morphologique des cabosses

A ce stade, certains d’entre-vous penseront sans doute « Criollo versus Forastero… Encore un truc marketing pour nous entourlouper ?! » Pas tout à fait, vous répondrais-je ! La science ayant progressé à toute allure ces 50 dernières années, au moment où une connaissance est acquise du grand public, il y a de fortes chances pour qu’elle soit déjà dépassée au sein de la communauté scientifique. Les marketeurs… faisant partis du grand public…CQFD !

Je vous propose donc d’essayer d’y voir plus clair. A travers un petit voyage dans le temps, nous allons, tout d’abord, essayer de comprendre d’où vient cette distinction en trois grandes variétés et, ensuite, vérifier si elle est toujours pertinente. Puis, nous nous envolerons dans le présent, direction la Colombie, avec Christian Velez qui a, par hasard, redécouvert trois variétés de cacao. Je ne vous en dis pas plus pour le moment… Mais, la dégustation a été savoureuse !

Criollo, Forastero, Trinitario… Kezako ?

Pour comprendre cet héritage culturel, il nous faut faire un petit voyage dans le temps. C’est parti ! On remonte d’environ 500 ans pour atterrir entre 1500 et 1558. On le sait bien… La découverte du cacao date du XVIème siècle, période fastueuse pour les botaniciens qui repartaient chargés d’herbiers, d’échantillons pour les jardins botaniques et de carnets de dessin représentant toutes ces nouvelles espèces. Ce que l’on sait moins, c’est que les scientifiques de l’époque se basaient sur la ressemblance des feuilles, des fleurs, des fruits, du tronc, etc… pour classer les différentes espèces. Par ailleurs, les explorateurs n’ont pas découvert l’ensemble des Amériques et leur richesse floristique et faunistique en un seul jour. Vous voyez où je veux en venir ?!

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Découverte des Criollos

Lorsque les espagnols débarquent en Amérique, plus exactement dans l’actuel Mexique, ce qu’ils découvrent est un cacaoyer portant des cabosses rouges, de forme assez allongée, pointues, verruqueuses. Ces cabosses contiennent des graines de couleur blanche. En termes de profil aromatique, on est sur des notes de caramel, miel, noisettes et amandes… quelque chose de rond en bouche. Ce cacaoyer sera désigné par le terme de « criollo » qui signifie « du cru » ou « créole ».

Petite remarque sur l’usage du mot criollo : Aujourd’hui, le qualificatif de criollo est utilisé au Pérou pour désigner toute chose produite localement, même une paire de chaussures ! Il faut donc être prudent lorsqu’une personne nous parle de cacao criollo.

Découverte des Forastero amazoniens

Notre sablier s’égraine… quelques décennies se sont écoulées depuis l’arrivée des fèves de Criollo en Europe… C’est la fin du XVIème siècle et le cacao connaît un véritablement engouement dans le vieux continent, tout du moins auprès des classes sociales les plus aisées. La production de cacao en provenance du Mexique et des Caraïbes ne suffit pas à satisfaire la demande grandissante. Les colons décident alors d’étendre les plantations sur toute l’Amérique équatoriale en partant du Guatemala jusqu’au Brésil. Chemin faisant, ils découvrent une autre sorte de cacaoyer. Cette fois, les cabosses sont jaunes et lisses et leurs graines violettes, plates et plus amères. Ce deuxième type de cacaoyer sera désigné, en opposition au premier, par le terme de Forastero qui signifie « étranger », c’est-à-dire le non criollo. D’un point de vue agronomique, les colons constatent que cette espèce présente un avantage indéniable : elle est plus robuste et plus productive que le Criollo.

Premières hybridations par les colons

A ce stade, on a bien compris la différence historico-culturelle entre Criollo et Forastero amazonien. Et, le Trinitario dans tout ça ? Télé-transportons-nous en 1727, soit 2 siècles plus tard, sur l’île de Trinidad localisée dans les Caraïbes, terre foisonnante de Criollo. Comme l’explique parfaitement Michel Barel (2015), les capucins y cultivaient les Criollo depuis 1525. Mais, en 1727, une catastrophe naturelle, non identifiée pour l’heure, déciment la presque totalité des plantations. Seuls survivent deci delà quelques exemplaires de Criollo. Pour relancer la production de cacao, le choix est fait de planter des Forestaro dont on a vu qu’ils étaient plus résistant. La magie de la nature a ensuite fait son œuvre : les deux espèces se sont croisées donnant lieu à une multitude d’hybrides. C’est la naissance du Trinitario, en hommage à l’île de Trinidad.

Le triumvirat se fige en 1944

Et hop ! On refait un petit saut de deux siècles pour atterrir en 1944. C’est la date qui entérine cette classification en trois variétés…, classification que l’on doit au botaniste Ernest Entwistle Cheesman. A ce stade de l’histoire, le cacaoyer ou Théobroma cacao appartient au genre Théobroma et comporte uniquement trois variétés : Criollo, Forastero et Trinitario qui est un hybride des deux premiers.

Il faut rendre à César ce qui est à César… Aussi, je tiens à souligner qu’Ernest a bénéficié des travaux de ces prédécesseurs :

  • En 1882, Morris a été le premier à formaliser un inventaire en deux classes, avec les Criollo d’une part, et, les Forastero d’autre part ;
  • En 1901, Preuss completera cet inventaire en y ajoutant les Trinitario.

En naviguant sur le web ou en consultant certains livres du début des années 2000, je constate que cette simplification en 3 grandes variétés est toujours d’actualité. Certes, le sujet n’est pas de toute simplicité. Mais, c’est tout de même oublié qu’en 1635 la variété Nacional était déjà cultivée en Equateur et, qu’en 1639, les jésuites portugais plantaient déjà des Amelonado (sous-variété de Forastero) dans la forêt amazonienne.

En réalité, il y avait ET il y a un peu plus de diversité que cela !

500 millions de variétés…Et moi et moi et moi !

Le triumvirat – Criollo, Forastero et Trinitario – masque la diversité des variétés cultivées et sauvages existantes sur notre planète. Depuis les années 60, les progrès réalisés en génétique ont permis de rendre compte de cette diversité via des classifications plus modernes dites « phylogénétiques ». L’étude des liens de parenté entre variété de cacaoyer ne repose plus sur les seuls critères morphologique, comme la forme ou la couleur de la cabosse (ce sont les méthodes classiques dont on parlait plus haut). Le génome des cacaoyers est désormais pris en compte !

Pourquoi autant de diversité ?

A ce stade, vous vous interrogez certainement sur le lien entre génome et découverte de nouvelles variété de cacaoyer. Tout cela semble un peu flou. Il y a en effet une chose que je ne vous ai pas encore expliquer. Il faut savoir que le cacaoyer est un véritable Don Juan à la fidélité plus que douteuse. C’est à se demander pourquoi on offre des chocolats à la Saint Valentin…

Pour mieux comprendre la chose, commençons par un petit rappel des cours de biologie du collège : l’ovule de la maman est fécondé par un spermatozoïde du papa, donnant lieu à un enfant ayant exclusivement deux parents biologiques. Chez le cacaoyer, les choses se passent un peu différemment. La maman, c’est-à-dire la fleur du cacaoyer, comporte une quarantaine d’ovules pouvant être pollinisés par un « papa » cacaoyer différent. Autant il y a d’ovules dans une fleur de cacaoyer autant il y a de pères potentiels. Une fois la fleur transformée en cabosse, chaque ovule donnera lieu à une fève. Certaines auront une couleur blanche typique du criollo tandis que les voisines auront héritées des caractéristiques des Forestero ou d’autres Trinitario. Et, comme le cacaoyer est également hermaphrodite… je vous laisse imaginer la complexité pour démêler les liens génétiques!

Partant de ce constat, on comprend mieux qu’il puisse y avoir une foultitude d’hybrides entre Criollo et Forestaro. Un hybride, ayant conservé majoritairement des caractéristiques de Criollo, pourra présenter des qualités aromatiques extraordinaires. C’est pourquoi, en tant qu’amateur de chocolat, les Trinitario ne doivent pas être dédaignés. Bien au contraire, je vous invite à les découvrir auprès de connaisseurs comme Andrès.

L’homme et le cacao, une vieille histoire d’amour !

Les travaux en génétique couplés aux nouvelles découvertes des historiens et des archéologues, donnent à voir une histoire plus complète de la domestication du cacao, ne se limitant pas à la seule période moderne. Que sait-on en 2018 ?

Si les controverses et des parts d’ombre demeurent, les chercheurs semblent s’accorder sur les quelques points suivant :

  • Le berceau du cacaoyer serait situé en Amérique du Sud et aurait été introduit par l’homme en Amérique centrale (Montemayor et al., 2002). Le coupable tout désigné serait le peuple Olmèques (1200 av.J-C à 500 av.J-C) qui vivait sur le bord du golfe du Mexique dans la région de Soconusco (au Sud du Mexique, dans l’actuelle région de Veracruz, Chiapa et Tabasco).
  • La domestication du cacao débute avec les civilisations pré-colombiennes, à priori les Mayas (-1000 av.J-C à 1520 ap.J-C) sur des territoires voisins de ceux des Olmèques.
  • Montemayor (2008) met fin au triumvirat « Criollo/Forastero/Trinitario » avec la publication d’une cartographie génétique du cacaoyer basée sur l’analyse de 1244 spécimens. De trois l’on passe à 10 groupes génétiques !

Cette dernière découverte a révolutionné le monde du cacao qui s’est lancé dans une quête de sous-variétés oubliées.

Localisation des individus analysés, la couleur indiquant le groupe d’appartenance génétique. Source : Montemayor et al., 2008.

A la recherche de l’arche… du cacaoyer perdu !

La prise en compte du génome dans l’étude des variétés de cacaoyers sauvages ou des cultivars a ouvert de splendides perspectives. Les pays producteurs sud-américains, comme la Colombie, redoublent d’effort pour constituer des arboretum les plus exhaustifs possibles.

Ce travail de valorisation de variétés oubliées est également réalisés par des privés. C’est le cas, par exemple, d’Ara Chocolat. Ce couple vénézuélien, installé à Paris, part à la rencontre de petits producteurs souvent proche de la retraite et dont les enfants ne souhaitent pas reprendre les plantations. Lorsqu’ils trouvent une fève remarquable, leur travail va aussi consister à les sensibiliser sur le potentiel de leur cacao et à les convaincre de maintenir les plantations, via une juste rémunération.

Aujourd’hui, j’avais envie aussi envie de vous partager l’histoire de Cacao Betulia. Allons-y ! Partons pour la région d’Antioquia en Colombie !

Angèl (à gauche) et Christian (à droite)

Betulia où la redécouverte de cultivars oubliés

Lors du dernier salon du chocolat, j’ai pu faire la connaissance de Christian Velez propriétaire de l’hacienda Cacao Betulia en Colombie. L’histoire de son hacienda m’est apparue tout à fait représentative d’un phénomène assez récent et fragile : la redécouverte d’anciens cultivars et leur revalorisation par des producteurs, de taille petite à moyenne, en Amérique latine.

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D’origine Colombienne et vivant en Suisse, Christian a souhaité créer un pont entre ses deux pays d’adoption liés par une même tradition cacaoyère. Quoi de plus beau que de créer une tablette dont les fèves proviendraient de son pays d’origine et les confectionner en Suisse ?! Il y a un peu moins de 8 ans, il se lance dans l’aventure et se met en quête d’une plantation en Colombie. A cette époque, amateurs et artisans n’avaient d’yeux que pour les Criollos, alors considérés comme les cacaos les plus nobles. Les choses ont évolué depuis et certains Trinitarios taquinent de près les Criollos.

La tâche s’est avérée extrêmement ardue et, à défaut de trouver des Criollos, Christian a eu un coup de cœur pour une hacienda localisée dans la région de Antioquia qu’il achète en septembre 2011. Cette hacienda, composée de 1000 arbres, est alors confiée à Angèl qui, six mois plus tard, fait une découverte inattendue. Parmi les 1000 pieds, il en identifie 22 comme une sous-variété de Criollo, connue sous le nom de Betulia. Les arbres sont alors marqués d’un code B1, B2, B3, …B22 et un long travail de sélection est initié. Christian et Angèl sélectionnent les trois arbres les plus productifs – B6, B8 et B9 – et les multiplient via des greffes. Au bout d’un an, ils obtiennent 30 arbres de chaque variété, 100 en 2 ans pour atteindre 3000 de chaque en 6 ans !

Cabosses B6

Cabosses B8

Cabosses B9

Parallèlement à ce travail de sélection, Christian s’engage dans un processus de certification afin d’obtenir le label Bio et devrait être certifié d’ici un an. Il a également sanctuarisé 30 hectares afin de préserver des espèces indigènes. C’est d’ailleurs la tarentule locale – dont l’abdomen est d’un beau rouge flamboyant – qui a inspiré le packaging de la tablette B8.

Avec la collaboration de chocolatier de Zurich – Taucherli – il réussi enfin en juin 2018 à produire ces premières tablettes « Tree to bar » de pure origine. Il aura donc fallu 7 ans de travail acharné pour retrouver d’anciens cultivars et les transformer en splendides tablettes de chocolat à 72%.

A la dégustation, j’ai été surprise. En terme de profil aromatique, les trois variétés sont totalement différentes les unes des autres. Je m’attendais à trouver quelque chose de similaire à un Porcelena. Dans les trois cas, on a affaire à des chocolats ayant une belle complexité et les notes fleuries de la B6 et de la B8 témoignent d’une bonne maîtrise de la fermentation des fèves et de leur torréfaction. L’une d’elles présente une couleur très clair (acajou) qui peut faire penser à certains chocolats au lait à forte teneur en cacao. C’est d’ailleurs une couleur qu’on peut retrouver dans certaines tablettes de Trinitario de haut vol. Ce petit trio de tablettes est, à mon avis, tout à fait idéal pour organiser une soirée d’initiation à la dégustation de chocolats fins. Je pense qu’on peut aller encore plus loin en exploitant davantage le potentiel de ces fèves. En somme, c’est une très belle découverte et j’ai hâte de voir comment ils vont évolués.

Tablette B6

Tablette B8

Tablette B9

En résumé

Dépassée depuis plus de 10 ans, la triptyque – criollo, forastero et trinitario – reste très utilisée, en témoigne tous les sites spécialisés qui en parlent. Pourtant, développer notre connaissance en matière de variétés cacaoyères, est un bon moyen de participer à leur conservation et revalorisation. Il faut savoir que les variétés redécouvertes, au détour d’une « finca », correspondent souvent à des cacaos fins et aromatiques. Rares, elles sont peu propice à une culture intensive et, par conséquent, délaissées au profit d’hybrides plus résistant et productifs comme le CCN51 ou le Mercedes.

C’est là qu’interviennent des artisans passionnés en quête de fèves aromatiques ! Grâce à leur acharnement, ils nous permettent de redécouvrir et de valoriser des variétés oubliées. Avec cet article introductif, j’espère avoir aiguisé votre curiosité et vous invite à en discuter avec les artisans chocolatiers ou les producteurs que vous rencontrerez.

Flora

Amatrice de chocolat

Remerciements

Je tiens à remercier Christian de l’hacienda Cacao Betulia que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors du salon du chocolat 2018. Je remercie également Andrès de Ara Chocolat qui m’a sensibilisée sur ces questions il y a un an.

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Merci à mon super photographe personnel qui embellie mon blog avec son talent ! 😘